La fruitière

Définition du Larousse : « Petite coopérative de producteurs de lait pour la fabrication du fromage, notamment du gruyère ».

Un acte notarié en date du 19 novembre 1854 mentionne que les époux Victor MOLIN et son épouse Claudine née JACQUOT vendent à cinq sociétaires (Jean-Pierre MOLIN, Pierre et Anatoile OLIVIER, Hyppolite BRENIAUX et Eloi COUPET) une maison pour construction d’un chalet. 

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C’est le second empire. Napoléon III a beaucoup fait pour l’agriculture.

A cette époque la production de lait n’est pas importante, le fromager fabrique un gruyère tous les deux jours. Il exerce dans un local situé en face de la fontaine qui deviendra lavoir. La fabrication du fromage nécessite beaucoup d’eau. Les meules sont stockées dans une cave à côté de l’alambic. Une porte située sur la droite dans l’atelier est toujours visible. En patois les anciens disaient « t’ vas à la futerie ».

En 1887, une somme est votée pour la création d’une école modèle de fromagerie à Poligny et en 1893, l’accord est donné pour un laboratoire agricole en annexe de ladite école.

Les coopératives comtoises sont les plus anciennes de France. Il fallait se regrouper pour faire un comté. Le cultivateur ne vend pas son lait, il le porte au chalet (en général avec une charrette tirée par un chien) où le fromager, employé de la coopérative, le transforme en beurre, comté et petit-lait. Le beurre et les fromages sont vendus et le produit des ventes est réparti entre les sociétaires après déductions des charges. Le petit-lait est rendu aux producteurs pour nourrir les cochons. Les apports journaliers (matin et soir) sont cumulés tous les jours. Quand un sociétaire a le plus fort cumul on dit qu’il a le fromage. Il doit fournir le fagot et la charbonnette pour chauffer les chaudières. Il devait aussi aider le fromager.

En 1900, la coopérative fait construire de nouvelles caves en face de l’école des garçons. A ce sujet, le maçon a eu de grosses difficultés financières pour achever les travaux et s’est trouvé ruiné après la construction. L’échafaudage des deux voûtes est fait avec des vernes qui sont abattues à proximité de la ferme de Gremier. L’étayage n’a pas résisté sous le poids des pierres et il a dû refaire le travail ce qui aurait entrainé sa faillite.

La production de lait s’accroît. Une nouvelle salle de transformation est faite en face, équipée de deux cuves et d’une salle enterrée. L’acquisition du bâtiment est faite vraisemblablement vers 1867 comme chalet communal. Chaque soir le lait est mis au frais dans cette pièce. Il est versé dans des récipients métalliques de grand diamètre mais peu élevés pour faciliter l’écrémage manuel. Par la suite, il sera fait avec une écrémeuse centrifugeuse.

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Photo prise vers 1900

A droite les pierres font penser à la construction des caves

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La fromagerie à droite

L'ancien chalet à gauche

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Livraison du lait au chalet avec une charrette

Assis: Xavier BRENIAUX

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L'ancienne fromagerie rénovée par

Gaston ANTOINE

Le bâtiment de l’ancienne fruitière sert pour le garage du corbillard et de la pompe à bras. Il est démoli en 2011. L’ancienne maison Lombard située à côté le sera également.

Le fromage fabriqué n’a pas encore l’appellation « Comté » et est appelé « Gruyère ». Il ressemble au comté mais a des trous comme l’emmental. Les meules sont plus petites, environ cinquante kilogrammes et il faut 600 litres de lait pour la fabrication d’une meule. Le lait est collecté matin et soir au moment de la « coulée ». Les producteurs l’amènent eux-mêmes avec une petite remorque qu’ils poussent ou une charrette tirée par un chien. La fruitière deviendra coopérative et comptera jusqu’à 40 sociétaires.

Le bâtiment de la fruitière est appelé « chalet » et sera désigné plus tard par le mot « fromagerie ». Deux cuves en cuivre chauffées au bois sont nécessaires pour la fabrication du fromage.

Du beurre est fait dans une grosse baratte. Il n’y a pas de réfrigération. L’atelier est équipé de deux presses. La femme du fromager fait la « coulée », le matin et le soir. Le producteur verse son lait dans un récipient pendu à un appareil de mesure appelé pèse-lait. Un cadran indique le poids de chaque côté et chacun peut ainsi constater la masse livrée. La fromagère note les renseignements sur un carnet attribué à chaque sociétaire.

A midi à la sortie de l’école, les écoliers vont auprès du fromager quémander de la rognure. C’est un renflement de pâte molle dû au pressage qu’il coupe pour affranchir correctement le pourtour de la meule.

Chaque jour les nouvelles meules sont mises dans deux caves voûtées en face de l’école. Le fromager utilise une charrette avec des roues à bandages métalliques. La route est en pente et elle roule sans effort. Les meules sont salées et retournées tous les deux jours et une fois par mois un affineur vient les prendre. Le fromager lave les planches (plateaux longs et épais) qu’il dresse contre le mur de la cour de récréation. Le paiement du lait se fait avec trois mois de retard. Une ristourne est versée selon les cours du moment.

Les techniques évoluent et on fait construire un nouveau bâtiment qui sera opérationnel en 1957 et il est constitué un regroupement avec les producteurs des communes environnantes. Comme l’eau courante n’existe pas, il faut creuser un puits dont la profondeur atteint trente mètres sans vraiment parvenir à une nappe d’eau. Une citerne de récupération des eaux de pluie est faite en complément.

Ces transformations créent des emplois, il faut un fromager et deux employés pour travailler la quantité de lait ramassé qui ne cessera d’augmenter. Deux camions à plateau sont utilisés pour le ramassage dans les fermes. Le lait est collecté dans des bidons en fer ou en aluminium appelés « bouille » (ou boille en Suisse) qu’il faut rincer après chaque utilisation. Un lavage plus prononcé est à la charge du producteur.

Régulièrement il est fait un contrôle du lait par des chimistes sans prévenir les adhérents par prélèvement d'un échantillon au moment du versement de chaque bidon. Ils contrôlent la qualité du lait. Un paysan malveillant peut très bien mouiller son lait c'est-à-dire ajouter de l’eau pour augmenter la quantité et par conséquent percevoir une plus grosse rémunération. Le contrôle porte également sur la propreté des bidons.

Ce métier occupe les employés 365 jours par an, le matin à l’atelier de fabrication, l’après midi en cave.

L'appellation d’origine contrôlée « Comté » a imposé un cahier des charges très strict. Le comté doit être fait d’une pâte homogène sans trou, le bétail doit être nourri à l’herbe et au foin, l’ensilage est interdit. Le contrôle laitier dans les fermes est fait de nombreuses années par Solange MOLIN. Ce contrôle permet d'établir des références et donne une certitude aux paysans, celle de retirer un bon prix de leur bétail.

La sélection de taureaux et l’insémination artificielle pratiquée par un nommé SAPPEZ domicilié à Sellières améliorent également la génétique. Elle a débuté vers 1948 sous l’impulsion d’Emile RICHEME avec pour objectif de promouvoir la race montbéliarde. Auparavant la société fromagère gérait la sélection par un taureau placé chez Henri BREGAND. D’après Julienne BRENIAUX, ma tante, certains animaux étaient acquis en Suisse. C’est dans ce pays que se trouve la commune de Gruyères, dans la Gruyère, région célèbre pour ses fromages.

Des changements ont encore lieu. Les grosses fermes sont apparues avec la disparition des petits exploitants et les machines à traire ont simplifié le travail. Le lait va directement dans des tanks réfrigérés et n’est plus ramassé qu’une seule fois par jour, la nuit, par des camions citernes appartenant à de grands groupes. Le chalet, n’ayant plus d’utilité, est vendu en 1987. Lionel PREVOT le transforme en appartements comme le précédent l’a été par Gaston ANTOINE puis racheté par son père. 

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Des habitants devant le chalet vers 1933.

De gauche à droite : 1er Charles ROMANET - 2e Pierre  AUBERT - 3e Georges BRENIAUX - 4e Louis BRENIAUX - 5e Herman ANTOINE

6e Désiré TROSSAT - 7e Arsène BRENIAUX - 8e .... - 9e Louis OLIVIER - 10e Raoul LOMBARD - 11e Robert BOISSON - 12e ….

13e Adrien BRENIAUX - 14e Emmanuel ANTOINE - 15e Antoinette JACQUET - 16e Janine BOISSON - 17e Juliette JACQUET - 18e Suzette LOMBARD

 

« La coulée » constitue un point de rencontre et de discussion pour les habitants qui sont principalement des paysans, mis à part les personnes qui viennent acheter du lait, du beurre ou du fromage à ce moment-là. En effet, un adhérent ne peut pas vendre son produit directement au consommateur, la laiterie en a l’exclusivité.

Le soir, la journée de travail étant terminée, les conversations durent plus longtemps. Le nouveau chalet a nécessité la construction d’un grand parking pour la manoeuvre des camions. L’été, les jeunes se rassemblent et jouent aux boules. Ainsi, de nombreuses fois, Roger MOLIN, plus proche voisin et qui dort avec la fenêtre ouverte, demande de faire moins de bruit. 

Voilà encore une tradition qui a disparu.