Brainans et Brunens par François BRENIAUX (Massy-91)

Nombreuses sont aujourd'hui les personnes intéressées par l'histoire de notre cher village de Brainans, qui devant le peu d'écrits sur le sujet, citent l'ouvrage de Alphonse Rousset (1812-1868), notaire de Bletterans jusqu'en 1850, et qui fut édité en 1853 pour le tome 1 concernant Brainans. Or, ils ne se doutent pas que Alphonse Rousset, qui a réalisé certainement un travail d'encyclopédiste unique pour le Jura, n'est malheureusement pas un érudit et a livré une œuvre émaillée d'approximations ou d'erreurs, toujours néanmoins sur une base réelle (je reviendrai sur le sujet prochainement). Cela n'a pas manqué concernant l'origine supposée de Brainans avec le mot Brunens.

En fait, quand Alphonse Rousset a travaillé sur Brainans, il s'est appuyé d'une part sur les documents qu'il a pu trouver en mairie et d'autre part sur les ouvrages des historiens de la Franche-Comté. Or, une bonne partie des documents se trouvant en mairie en 1850 ont été perdus, mais il nous reste les inventaires de 1861 et 1863 qui nous permettent de connaître la liste des documents qu'il a pu compulser. Certains de ces documents sont néanmoins aujourd'hui disponibles aux Archives Départementales du Jura, certains documents, comme l'arpentement (sorte de cadastre de l'ancien régime), étaient produits en double exemplaire, on peut donc voir l'exemplaire qui était déposé à la subdélégation de Dole.

II existe aussi d'autres documents très anciens concernant le village (depuis le XIIIe siècle), que ce soit aux Archives Départementales du Jura ou du Doubs pour les plus anciens, mais aucun document que j'ai pu consulter ne fait mention de Brunens, on trouve le village sous l'écriture Braynans voire exceptionnellement Brenans dès le XIIIe siècle. II est vrai que tous ces documents sont écrits en français, Brunens devant plutôt se trouver sur des documents en latin. Malheureusement, il ne reste que très peu de documents du diocèse de Besançon pendant la période du moyen-âge. II existe un pouillé en latin, le "pouillé des Carmes" publié en 1749, que l'on peut trouver aux Archives du Doubs (G3), et qui aurait été écrit vers 1710, mais à cette époque Brainans était écrit aussi Braynans.

Où donc Alphonse Rousset a-t-il pu lire le nom de Brunens alors? J'ai eu la réponse dans un des deux articles écrits sur Brainans par un véritable érudit de l'histoire jurassienne, Désiré Monnier (1788-1867), qui participa activement avec Prosper Mérimée au travail de conservation de l'Abbaye de Baume-les-Messieurs. Dans l'annuaire du Jura de 1854 (DSCN0039), soit dans la foulée de la publication de son livre il indiqua que Alphonse Rousset avait tiré sa source du travail de Jean-Baptiste Béchet (1759-1830), jurassien ayant vécu la fin de sa vie à Besançon, qui avait entrepris la traduction des chartes de l'Abbaye de Baume-les-Messieurs, alors qu'il s'est beaucoup intéressé à l'histoire jurassienne (il a d'ailleurs écrit un ouvrage sur Salins).

Connues depuis le début le XIXe siècle, il est dénombré 13 chartes en latin concernant l'abbaye de Baume-les-Messieurs entre 1078 et 1190 recensant entre 4 et 97 possessions de l'abbaye. Ces chartes, considérées comme remarquables par le fait d'avoir été édictées sur une période relativement courte et par leur caractère plutôt authentique, sont pour sept d'entre elles des bulles papales, trois des chartes d'archevêques de Besançon, et enfin trois sont des privilèges impériaux de Frédéric Barberousse et son fils Henri VI pour le compte de son père. La plupart des originaux sont conservés aux Archives Départementales du Jura, parfois avec un exemplaire supplémentaire conservé à la Bibliothèque Nationale, certaines chartes sont uniquement des retranscriptions ultérieures.

Or Jean-Baptiste Béchet a attribué au vocable Brunens présent dans 4 de ces chartes, le village de Brainans. Désiré Monnier, qui a publié ses travaux sur l'Abbaye en 1836, lui pense que Brunens désigne plutôt une terre, dénommé Grange de Brenans ou Ferme de Brenans, qui par la suite appartint à l'Abbaye de Rosières. Elle est située sur la commune de Ounans, d'ailleurs Alphonse Rousset lui-même dans son article sur le village de Ounans en parle, et précise même que son premier nom historique était Brunens. On ne peut ignorer non plus le lieu dit "Pré Brainans" sur la commune actuelle de Tavaux, près de la Villa des Sarrazins. En tout cas, par la suite tous les écrits reprenant les chartes du XIe-XIIe siècle de l'Abbaye de Baume les Messieurs ont gardé la traduction de Brainans pour Brunens, en particulier les travaux de Bernard Prost (1845-1905), archiviste du département du Jura et auteur d'une thèse sur l'Abbaye de Baume-les-Messieurs en 1869, Gustave Duhem (1902-1986), directeur des Archives Départementales du Jura jusqu'en 1965, ou plus récemment les travaux d'un chercheur anglais Giles Constable, spécialiste de Cluny et de ses abbaye, dans un article publié en 1986.

A l'analyse, nous pouvons nous apercevoir une nouvelle fois de la confusion des écrits de Alphonse Rousset, car si effectivement la charte la plus ancienne citant Brunens date bien de 1111, il ne s'agit pas d'une bulle papale et encore moins du pape Innocent II, qui ne fut pape que 30 ans plus tard, mais d'une charte de l'archevêque Guillaume de Besançon, conservée aux Archives Départementales du Jura (1 H 17), qui confirme la possession de 51 propriétés dont Brunens à l'Abbaye de Baume les Messieurs. Selon les historiens s'intéressant à ce type de chartes de l'époque, cette possession était soit réelle, soit revendiquée.

Trois autres chartes citent Brunens : la charte de l'archevêque de Besançon Anséric de 1133 qui nous est parvenue par une copie se trouvant aux Archives Départementales du Jura et par une reproduction de Jean-Baptiste Guillaume de 1757 apparemment à partir de l'original, celle de l'antépape Victor IV de 1162, parvenue jusqu'à nous par une copie du XIVe siècle qui fait partie du fonds de Cluny, et celle du pape Clément III en 1190, dont un original se trouve aux Archives Départementales du Jura (1 h 15). Brunens est toujours citée comme une ecclesia, c'est-à-dire une église, mais à l'époque il existe un flou sur le statut réel des établissements religieux, la documentation nous manquant, puisque les archives de l'archevêché ont été détruites pendant la révolution française. Néanmoins, il existe un compte diocésain et deux pouillés des paroisses de l'archevêché de Besançon en 1275, au XIVe et au XVe siècles, sans présence de Braynans ou de Brunens comme paroisse, alors que près de 800 paroisses sont recensées (voire le dernier livre de Laurence Delobette sur le sujet).

Les traducteurs se servent souvent de l'agencement des noms de lieux dans les listes pour les identifier. Dans le cas de la charte de Guillaume de Besançon, Brunens est cité entre Belmont et Mont-sous-Vaudrey. La charte de Anséric cite Brunens entre Mont-sous-Vaudrey et Billey (village de Côte d'Or en limite du Jura près d'Auxonne), on pourrait donc opter pour la position de Désiré Monnier qui considère que Brunens concerne la ferme de Brenans sur la commune de Ounans.

II est à noter que les deux dernières chartes sont très similaires concernant les possessions de l'Abbaye de Baume les Messieurs, avec la particularité de citer deux possessions se nommant Brunens, l'une entre Billey (21) et Villarot (71) et l'autre dans un groupe de localités sur le premier plateau entre Publy et Vers-en-Montagne. Or Brunens aurait pu apparaître à côté de localités plus proches de Poligny comme Buvilly, Grozon, Miery ou Toulouse-le-Château.

II est à noter aussi que sur les quelques 120 noms de localités citées par ces différentes chartes, 3 n'ont toujours pas été identifiées et il existe des doutes sur une demi-douzaine d'autres noms de localités, sachant que certaines sont revendiquées à la même période par d'autres abbayes, bisontines pour la plupart.

On peut donc bien attester l'existence d'un, voire de deux Brunens aux XIIe et XIIIe siècles, semblablement en dépendance de l'Abbaye de Baume les Messieurs, mais pour ma part, j'attends encore le document qui permettra de le rapprocher définitivement du village de Brainans, même si la présomption reste forte.